1914   -  Pupille de la Nation   - 1918

RETOUR PAGE PUPILLE DE LA NATION

RETOUR AU SOMMAIRE DU SITE     France   RETOUR AU PLAN DU SITE

- Album Mon Oncle Désiré -
précédente                            RETOUR PAGE ALBUM ONCLE DESIRE                        suivante


Sommaire Centenaire
Retour page index CENTENAIRE     Retour page index CENTENAIRE
Cette page appartient aux rubriques mensuelles portant sur le thème du 
CENTENAIRE DE LA GRANDE GUERRE 1914 - 1918
Vous  pouvez naviguer dans l'album en cours
 ou remonter la hiérarchie des thèmes ou aller à la page du sommaire centenaire
ou encore aller directement consulter un mois de la grande guerre dans le tableau ci-dessous.
Sommaire Centenaire
Retour page index CENTENAIRE    Retour page index CENTENAIRE
1914 Août Septembre Octobre Novembre Décembre
1915 Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre Novembre Décembre
1916 Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre Novembre Décembre
1917 Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre Novembre Décembre
1918 Janvier Février Mars Avril Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre Novembre

Décembre 1917 :

Courrier de famille et extrait du Journal des Marches et Opérations (J.M.O.) du 335ème RI, Avancées technologiques (téléphonie - moteurs à gaz - voiture à hélice), catastrophe ferroviaire du 12 décembre 1917 (700 morts !)

1917_12_Poilu_sous_Neige_Site_Papy_Louis 1917_12_Illustration_H_Site_Papy_Louis
Ci-dessus : Quel contraste entre la réalité des faits (à gauche) et les discussions de salon ! Heureusement que les poilus ne lisaient pas tous ces billets . (mais il est vrai que l'on doit pouvoir rire de tout, c'est du moins ce que l'on dit plus volontiers quand on est du bon côté...)


A gauche : la réalité, quatrième année à souffrir, après la boue, la neige : les pieds gelés (au sens propre) . Désiré parle du froid et de la neige dans les courriers ci-dessous .... avec beaucoup de courage pour  ne pas inquiéter la famille, bien-sûr !

Courrier des deux frères (encore survivants, le troisième, père de Papy-Louis, est parti en octobre 1914) :

1917_12_01_Carte_postale_Site_Papy_Louis
1917_12_01_Carte_postale_Site_Papy_Louis

Samedi 1 Décembre 1917

Chère Jeanne,

Je t'envoie cette carte, tu reconnaîtras celui qui me l'a donnée. 

J'ai reçu ta lettre hier, je vois que tu est bien occupée de ce temps là et aujourd'hui encore.

Je te remercie de bien vouloir me faire goûter au travail à l'oncle Adolphe, je sais qu'il a la main bonne, mais c'est ma montre qui me fera plaisir, elle va arriver tard car les betteraves s'avancent, mais j'en aurai encore besoin, c'est une grande compagnie que l'on consulte souvent le jour, puis pour partir au travail, lorsqu'on est à la minute comme ici, tu te ne figures pas ce que c'est gênant pour la quitter, les flemmards ne se trompent pas, ils arrivent juste à l'heure. 

Depuis que le caporal nous a quittés, celle de Godard est arrêtée et en réparation, on ne sait comment on …. 

Ce matin on a demandé l'heure aux Boches, il était 3h15, demain il ira la chercher et si la mienne se décide à venir on sera mieux si elle n'es pas partie. 

Je t'embrasse et te souhaite bon courage. 

Ton mari Réné.

René à son épouse




D'autres cartes postales sur ce site sont des photos des soldats pendant le conflit. Il est a supposer que des photographes prenaient des clichés pour les proposer en cartes postales du commerce.

René fait référence à un cousin de son épouse qui doit être comme lui au service d'encadrement des prisonniers allemands.

Le contenu est un peu obscur, néanmoins on voit toue l'importance d'un objet personnel pour garder un contact physique. De plus une montre c'est le symbole du temps qui passe et donc de l'espoir !



1917_12_10_Courrier_Site_Papy_Louis

Lundi 10 Décembre 1917

Cher frère

J'ai reçu hier ta lettre du 6 Xbre qui me fit bien plaisir. Je suis heureux de te savoir en parfaite santé, c'est toujours une chose à estimer. 

Quant à moi, je n'ai …. maintenant je ne souffre plus, l'appétit ne me fait pas défaut et comme il t'a été dit j'ai repris un peu de mine, j'en avais besoin et fais ce qui est possible dans ce sens. 

J'ai quitté la place de cycliste qui n'était que momentanée bien entendu. Je l'ai fait sans regret car c'est assez lourd à cette saison surtout quand le régiment est en ligne, il y a plus de chemin à faire. 

Quant à l'affaire que cette place devait me faire couper, elle n'a pas eu lieu aussi bon pour tous. 

Il me semble que tu commences à t'habituer …. un peu avec les Alb… travaux au dehors vont se terminer, la surveillance sera plus facile bien que vos responsabilités deviennent plus grandes, les patrons ne sont pas plus chics avec leurs procédés de …. 

Il faut suivant l’expression courante que ce soit la guerre car s'il reste à ces gens-là un peu de respect et de considération, cela devrait aller à leurs compatriotes de préférence. 

La grande (geguerre) n'a rien changé au temps de paix exploitants et exploités existent toujours. Quand donc sortirons-nous de l'impasse ?

Comme je l'ai déjà dit, la santé se maintient, j'ai repris ma place que je troquerais bien pour une autre meilleure sans plus tarder. Mais comme j'en ai pas le choix, il faut attendre ce moment que je souhaite prochain.

La gelée a fait son apparition, ce qui gène parfois … Je termine en te souhaitant le bonjour, une bonne santé, bon courage et meilleures amitiés. En attendant le plaisir de te lire bientôt.

D.Milon Signaleur au 6è Bon 335 Regt … (Secteur postal)156

Courrier de Désiré à René (frères)









Heureusement que le courrier postal fonctionne relativement bien. Sans cela on peut imaginer que le moral des troupes n'aurait pas pu être le même !

Quel courage, après avoir intoxiqué il y a un mois, remis sur le front pour faire l'estafette vélocipédiste dans la boue entre les lignes arrières et le front !!!




Une énigme ... il est vrai qu'ils s'écrivaient quelquefois à demis-mots à cause de censure.


Alors qu'il savait son frère bien plus à l'abri que lui, aucune jalousie ne transpire, au contraire !


Désiré était un fervent défenseur de notre devise !







On peut le comprendre quand on lit les péripéties et durs combats relatés dans les journaux de marches.
1917_12_22_Courrier_Site_Papy_Louis

Samedi 22 Décembre 1917

Cher frère

Je viens de recevoir aujourd’hui ta lettre du 19 Xbre. Il me reste à te remercier beaucoup des bonnes nouvelles que tu me donnes. 

Je suis très heureux de pouvoir t'assurer que je suis de même aussi . 

Je ne veux pas tarder de plus avant de te faire réponse. J'ai des nouvelles de la Monnaie dernièrement, la santé se maintient bonne aussi. ...




...Quant à la question de ma propre permission, je la place plutôt au 15 janvier qu'au 1er. 

Je ne suis pas fixé suffisamment pour le moment pour te dire au juste. 

Sitôt je le pourrais, je le ferai. Maintenant pour se trouver, voilà, notre gare régulatrice est Vaires-Torcy. Passe-t-on à Juvisy, je ne sais pas. Je trouve bien ta gare après Corbeil mais je ne vois pas sur la carte Vaires-Torcy. En prenant Juvisy Montargis passant par Corbeil là il y a un embranchement pour Pithiviers, l'autre pour Montargis et Mennecy se trouve la 2ème gare après Corbeil, cela je le vois. Je vais prendre tous les renseignements utiles au sujet de la permission et du voyage et te renseignerai dès à peu près dès que je le pourrai. 

Tu dis que la neige est tombée chez toi, il en est de même ici et il ne faut pas chaud, je t'assure. Nous sommes à peu près tranquilles pour l'heure c'est bien notre tour depuis le 4 novembre aussi on en profite.

Après la place de cycliste, j'ai repris mon truc qui vaut bien la première. Quant à la santé je ne me plains pas, elle est aussi bonne. … 

Je vois que ton métier va à part le froid qui fait souffrir partout. 

Je termine en te souhaitant le bonjour, une bonne santé, bon courage en attendant le plaisir de te lire et celui de te voir, reçois les meilleures amitiés d'un frère

D.Milon Signaleur 6ème Bataillon 335ème Régiment Secteur postal 156

Lettre Désiré à René (frère)








Rassurer, toujours donner des nouvelles encourageantes !










Les permissions étaient attendues mais toujours incertaines malgré les efforts faits dans ce domaine après les mutineries de 1917.






Difficile d'imaginer les difficultés, non seulement des déplacements proprement dits mais pour obtenir les informations ! Pas d'internet ! même pas de cartes ... Je suppose qu'il profitait d'un quartier libre pour aller à la petite gare la plus proche !

























Parler de tranquillité quand on lit le détail des journées dans le journal des marches !



Quel courage ...

haut

Journal des marches et opérations Décembre 1917 (mémoire des hommes)                      Pourrions-nous écrire ce qu'il relate pour rassurer ci-dessus en vivant ce qui est décrit ici :
JMO_Memoire_des_H_extraits

3 Décembre

A 21 h un détachement du 30(3)è R.I. (un officier et 60 hommes) tente un coup de main sur la tranchée allemande de Gallipoli. CE détachement, parti de la tranchée Légion, soutenu seulement par les feux e nos mitrailleuses, est arrêtée devant les fils de fer ennemis par les fusils et les mitrailleuses allemands et est obligé de se replier sans avoir pu aborder la tranchée qu'il s'était donné pour objectif. Aucune réaction d'artillerie.

JMO_Memoire_des_H_extraits

10 Décembre 

De 17h à 20h tirs à obus toxiques par nos batteries, très faible réaction ennemie.

JMO_Memoire_des_H_extraits

14 Décembre 

Vers 11 h rafale violente d'obus explosifs sur le Bois-Sacré et Centre Lambert puis rafale d'obus toxiques - Un intoxiqué : M.L (CHR) .

15 Décembre Même situation, Mêmes cantonnements.

16 Décembre 

Tir de harcèlement (*) sur le Bois-Sacré – Un intoxiqué G.E. (15è). Obus toxiques – Principalement de 13h à 15h.

17 Décembre Même situation, Mêmes cantonnements.

18 Décembre 

Dans la matinée, un obus atteint l'observatoire Olive et tue le soldat R. De midi à 16h30 bombardement intense et continu du Bois-Sacré et abords.

19 Décembre Relève du 335ème par le 334è dans le …

JMO_Memoire_des_H_extraits

28 Décembre 

Dans la soirée, le 335ème relève le 303 R.I. dans le sous-secteur du Mont-Sans-Nom. Relève terminée vers 22h. Dispositif des unités :

Quartier Zouaves 6è Bataillon (21è à droite, 22è à gauche 23è en réserve) 4è C.M

JMO_Memoire_des_H_extraits

31 Décembre 

Artillerie plus active de part et d'autre Obus toxique : un intoxiqué.

(*) - Tir de harcèlement : Tir incessant destiné à ne laisser aucun répit à l'ennemi.

Téléphonie en 1917 aux Etats-Unis                                      
(Source l'Illustration - Collection personnelle)
1917_12_Open_space_Site_Papy_Louis 1917_12_Telephone_a_pieces 1917_12_Telephone_main_libre
On pensait que l'Open-space et les hot-lines étaient synonymes de XXIème siècle ! Que la cabine à pièce datait
de 1960 ou 1970
Ingénieux "main-libre" (à quoi servent les amplis et bleuetooth ) ;-)
Pour information , le système supportant le combiné entier, je l'ai connu en usine en 1970

Progrès automobiles
1917_12_Moto_Gaz_Site_Papy_Louis
MOTOCYCLETTE A GAZ
Helica_1914_1918_Site_Papy_Louis
HELICA (voiture à hélice)
Les périodes de conflits ont toujours été des moments pendant lesquels de
grandes avancées techniques ont existé.

Les anglais ont été les premiers à adapter au gaz d'éclairage les moteurs
conçus pour fonctionner à l'essence.

Le réservoir ne devant pas déséquilibrer la moto, il était toilé.
Je ne me serais pas senti très en sécurité, surtout en cas de collision latérale !
Mue par l'hélice, avec roue directrice à l'arrière (les modèles postérieurs à 1919 en possédaient deux)

Ce véhicule, construit juste avant la guerre accompagna Leyat au front, on peut lire sur la fenêtre :

1er régiment d'artillerie, 42 ème bataillon, groupe de 120

voir les pages consacrées à l'Hélica (voiture possédée par mon grand-oncle en 1919

La catastrophe ferroviaire du 12 décembre 1917
(700 à 1000 morts ! ... )

1917_12_12_accident_ferroviaire
image source inconnue (probablement capture du reportage d'époque) - diffusion Fr3
Noël approche (12 décembre 1917) et plus d'un millier de poilus reviennent en permission.
Un long (trop ?) et lourd (trop?) convoi achemine ces enfants, maris ou pères vers leurs familles respectives. Beaucoup dorment, il est déjà près de 23 h et dans la longue descente de près de 20 km entre Modane et Saint Michel de Maurienne, les freins, trop chauds, ne répondent plus. La locomotive se détache , percute un rocher puis, tous les wagons viennent s'encastrer les uns dans les autres.
En quelques secondes, du lourd convoi de plusieurs centaines de tonnes et de 1200 hommes,  il ne reste qu'un amas de ferraille, de bois qui brûle, que des blessés et des morts. 
Officiellement, il sera annoncé le nombre de 400 morts mais les calculs ultérieurs furent plus pessimistes, près d'un millier et, parmi tous ces soldats qui n'allaient pas fêter Noël, 128 ne furent pas identifiés...
Combien de familles n'ont donc jamais su si "leur" poilu était décédé au combat (disparu, comme il était de mise de déclarer) ou dans cet accident, le plus meurtrier de l'histoire ferroviaire française.
Il semblerait que le conducteur ne voulait pas partir et qu'il y aurait été contraint.
Bien sûr le seul responsable au sortir des procès après guerre fut "la guerre"...
Petite vidéo explicative :
- déroulement des faits,
- explications,
- les (non) responsabilités et
- le devoir de mémoire en ce centenaire.

Source : compilation d'extraits de journaux France 3 - merci.
haut
Merci aux internautes qui, à la suite de cette publication, m'ont permis de prendre connaissance de ce qui serait paru dans un article de la revue Historia n° 311 d’octobre 1972,d’après un texte de J.L Chardans « Le train fou de Saint-Michel-de-Maurienne ».

« On reverra Paname » chantent les soldats entassés dans les voitures.

Depuis l’aube, un peu plus de 1000 hommes roulent vers la France. Au petit jour, le train a quitté Bassano. Lentement, le long convoi semble se frayer un passage vers la vallée. Des torrents fous enjambés sur des ponts démentiels, une voie sauvage accrochée aux parois de montagnes débouche sur la grande plaine lombarde.

Il s’arrête partout, ce chemin de fer. Pour « faire » de l’eau, pour charger du charbon, pour laisser passer des « prioritaires », des trains de munitions sinistres et interminables, des omnibus civils surchargés de belles Italiennes, d’enfants, de volailles et de quelques hommes grattant des mandolines. Chaque gare, chaque minuscule halte, a sur son quai, sa grappe de permissionnaires. A l’arrêt, l’assaut des wagons archicombles, soulève des tempêtes de jurons et de rires. Quinze jours de « perm » de Noël, c’est sacré, pas question de laisser un seul Français. On s’entasse, on s’arrange, on rigole. La cohue, dans cette circonstance, ça provoque de la joie.

« Un véritable train d’échantillons » lance de temps en temps un petit Parisien, tout heureux de son bon mot. Il faut dire que ces « Poilus d’Italie » viennent de régiments fort différents et des quatre coins de la France. La « Biffe » y est largement représentée avec le le 339e, le 107e, le 340e, le 78e, le 311e, le 120e, le 140e, le 340e et combien d’autres. Des hommes du 6e génie, des chasseurs alpins des 63e et 47e, des artilleurs de la 212e A.I et des gars du 34e A.M.

Quelques officiers, une centaine, mêlés à cette joie enfantine, fraternisent plus ou moins. Pour un temps, la guerre s’éloigne. Et plus braillé que chanté, le refrain reprend de wagon en wagon : « On reverra Paname ».

 Ce dimanche 12 décembre 1917, le train 612, réservé aux permissionnaires français, était parti de Bassano, en Vénétie italienne, pour Chambéry. Le 612 est formé de 17 voitures et de 2 fourgons. A l’exception d’un fourgon français, placé en queue, toutes les voitures sont italiennes. Plusieurs locomotives vont tracter ce convoi jusqu’à la frontière.

Ces permissionnaires français sont les soldats de 2 divisions, la 46e et la 47e, qui viennent de se battre dans la plaine de la Piave. Vers la fin octobre 1917, le général allemand Von Below, avait réussi à Tolmino, à percer le front de l’armée italienne. Le 20 octobre, le général italien Cadorna, avait été obligé de se replier avec les débris de son armée sur les rives de la Piave et le plateau d’Asiago. Ce fut « l’éboulement » de Caporetto, pour ne pas dire le désastre. Les armées austro-allemandes menaçaient toute la plaine de Lombardie, grenier de l’Italie. Par les Alpes, des renforts français étaient parvenus aux pieds des Dolomites et, pendant deux mois, avaient aidé les armées italiennes. Sous le commandement du général Fayolle, les deux divisions françaises avaient pris position dans les tranchées du Grappa. L’artillerie lourde, amenée depuis Modane par le tunnel de Fréjus, avait fait merveille. En quelques jours, la chance avait changé de camp. Et puis les semaines avaient passé ; la situation rétablie, on avait pu songer à donner des permissions de noël à ceux des premières lignes.

 Ainsi, à l’approche du Mont-Cenis, c’est l’allégresse. Revoir la France ! Chacun cherche à deviner, dans la nuit, la silhouette familière d’une montagne. Malgré le froid glacial, certains descendent les glaces des portières, l’air est déjà français. Mais bien vite, chacun referme les fenêtres coulissantes car, dans un grondement sourd et une âcre odeur de charbon, le convoi vient de s’engager dans le tunnel du Mont-Cenis. Et chacun d’évoquer les pullmans des trains de rêve, les rapides des voyages de noces, où les 16 kilomètres du tunnel de Fréjus donnaient de l’audace aux hommes, et beaucoup de souvenirs aux dames. Bientôt Modane, le pays qu’on a bien failli ne jamais revoir. Après, il y aura Chambéry, d’autres trains, d’autres gares… puis, au petit jour, papa, maman, les petits frères, la fiancée, la marraine de guerre, ou la femme, la maison qui paraîtra minuscule et un lit avec de bons draps frais… Quinze jours de « perm »… la vie quoi ! Avec Noël au milieu !Et chacun brode des rêves d’or à chaque tour de roue.

 Subitement, dominant le fracas du train, un claquement sec retentit, le train stoppe. Des loupiotes, des lampes de poche s’allument. On se penche aux portières… des fois qu’on aurait écrasé un « Boche » planqué dans le noir… Et de rire, de regarder la voûte hostile du tunnel, plus noire que la nuit. Sur le ballast, on distingue des hommes qui courent avec des lanternes.

« Descendez pas, les petits gars. C’est rien, c’est un raccord de frein qui vient de péter… ». Et le renseignement passe de bouche en bouche. Les chansons reprennent de plus belle, amplifiées par les échos du souterrain. Au milieu des refrains, des lazzis, des jurons, les tuyaux du westinghouse sont colmatés avec de la toile. Le convoi reprend sa marche au pas, et débouche enfin à Modane.

Il est 21h30. Il fait froid, très froid ; il y a de grandes plaques de neige, des barrières, des gendarmes avec des lanternes aux lumières bleues. Une longue gare morne, triste, apparaît, mais qu’importe, c’est le pays. Une seule voix éclate, et les montagnes couvertes de casemates, de forts, de vieux remparts, renvoient en écho ces cris de « Vive la France ! ».

« Une heure d’arrêt » annoncent les gendarmes. « Vous éloignez pas, les Poilus » conseillent les contrôleurs, « des fois que vous rateriez votre train ».

L’express civil Modane-Paris est en formation. Les officiers, profitant du privilège du grade, quittent le 612, pour y prendre place. Combien reste t-il d’hommes de troupe ? 900 environ, mais bien peu demeurent sagement dans la gare et c’est une meute joyeuse et turbulente qui enjambe les barrières et se répand dans la ville pour envahir les cafés et les tavernes.

A 23h00, presque tous les hommes regroupés regagnent leurs places dans les voitures. La bordée, c’est bien, mais la maison, c’est mieux. Seuls, dix ou douze lascars, « bloqués » dans d’hospitalières demeures ou dans des bars, rateront le départ.

Près de la locomotive panachée de vapeur, un petit groupe d’hommes gesticule ; des soldats s’agglomèrent ; la patrouille, inquiète, se rapproche. Du haut de la machine, le conducteur élève la voix : « Je suis responsable du convoi… je ne partirai qu’avec une motrice derrière moi. Ce sont des wagons italiens. Déjà l’autre mécano m’a signalé que les freins sont bricolés. Je connais la ligne, je ne pars pas… ». L’homme qui parle ainsi, c’est l’adjudant Girard, le mécanicien du train. La main sur la poignée de bronze de l’admission, il tient tête au chef de quai, au gendarme, à la patrouille. Décontenancé, un jeune lieutenant tente de négocier, de persuader. Il évoque la consigne, la locomotive promise est réservée à un convoi d’artillerie. Il n’est qu’un exécutant, c’est la guerre.

De loin, aux portières, les Poilus rigolent : « Pour sûr qu’on est bien en France. Ca discute les ordres ! ». Alerté, le commandant de la gare sort du buffet en rajustant sa pelisse de fourrure. Il ne veut pas d’incident. Mille hommes qui reviennent du front après être passés par les estaminets, il a peur. Mille hommes entassés dans un train immobile, rapidement cela mijote, et la pagaille, en 1917, a pour nom : mutinerie.

Voyant arriver le capitaine Fayolle, commandant du trafic, Girard espère enfin obtenir sa motrice de queue. Mais Fayolle ne veut pas perdre la face, il veut un exemple… « Girard, c’est un ordre » hurle t-il. « Vous démarrez tout de suite, ou c’est la forteresse ! Compris ? Je vous note ». D’un geste las, Girard lance sa machine, la vapeur fuse. Un instant les roues patinent, le chauffeur sable à mort. Crachant noir, le convoi s’ébranle. « C’est de la folie, marmonne le mécanicien, de la folie… Neuf cents tonnes sur le cul, quelle connerie la guerre… ». Il est 23h15.

Dans le train, chacun cherche à s’installer le mieux possible pour tenter de dormir. On oublie l’incident, quelques gars chantent encore. « Des bagatelles, cette histoire de freins. Tous des planqués, il faut qu’ils se fassent mousser ». Et de rire au souvenir de la tête « furibarde » du « pitaine » et de chanter : « On reverra Paname ». Ça roule drôlement bien. Et l’esprit cocardier reprend le dessus. Bien sûr, ça va mieux sur le réseau français que sur le réseau italien. Quelques tirailleurs éméchés tentent de se pencher à la portière pour crier « Bravo les mécanos ». L’entrée dans un tunnel les rejette en arrière. « A cette vitesse, nous serons… ».

Sans ralentir, le convoi aborde un premier virage, les roues grincent contre les rails. Un autre virage est pris plus rapidement encore. On sent à peine l’action des freins. La peur envahit les esprits. L’idée de l’incident du tunnel revient en mémoire. Ce sont les mêmes voitures italiennes. Que se passe t-il ? Chacun se cramponne. Par masse entière, les soldats déportés les uns sur les autres, tentent de s’amuser de l’incident.

Ce qu’il se passe ? Le 612 vient d’aborder la descente de Modane vers Saint-Michel-de-Maurienne. Sur 17 km, la pente continue avec une inclinaison permanente de 30 o/oo.L’altitude de Modane est de 1040 m. A Saint-Michel-de-Maurienne, à la gare, une plaque porte ces chiffres : Alt. 710 m. Le règlement de la ligne prévoit, aux montées et aux descentes, deux motrices pour pousser et retenir les convois. Et le 612 n’a plus de freins. L’enthousiasme tombe vite. Dans un compartiment, un artilleur gueule dans le tumulte : « Ils y vont un peu fort ! ». Un autre lui répond : « Peut-être qu’ils ont bu ! ».

On passe des tranchées, des tunnels, on ne distingue presque rien dans la nuit et la vitesse. Chacun tente d’allumer qui une lanterne à bougie, qui une lampe électrique pour se rassurer avec un peu de clarté. La vitesse semble s’accélérer. Les essieux gémissent, les roues cognent contre les aiguillages. Une lumière bleue passe en éclair devant les fenêtres. Une station, une halte avec son éclairage de guerre. Tout le monde se tait maintenant. On s’observe, les regards trahissent l’inquiétude. Le sifflet de la locomotive hurle par saccades. C’est l’appel aux serre-freins. Où sont-ils ces serre-freins ? Qui comprend, parmi ces hommes, le sens de ce cri ? Rien n’arrête l’accélération. De seconde en seconde, la vitesse augmente. Combien ? 100, 120 km à l’heure ? Il est impossible de savoir.

 Les vieux wagons sans boggie brinquebalent. La répétition constante et obsédante des coups de sifflet révèle la détresse de Girard et de son chauffeur. Il n’y a plus de freins… Quelques hommes tentent de serrer le volant du frein de secours. La voiture fait un bond terrible, les tampons se heurtent, les attaches font entendre des bruits sinistres. Il faudrait que toutes les voitures freinent ensemble. Mais il n’y a pas de soufflet, tout juste un couloir central, et pas question, avec les godillots, d’aller jouer les acrobates sur les marchepieds… Devant le danger, les hommes donnent du jeu au frein. Ponts, tunnels, tranchées sont franchis dans un fracas épouvantable.

Cette fois, c’est sérieux. Les Poilus, debout dans le couloir central, tombent les uns sur les autres. Les filets se vident de leur contenu, les veilleuses des plafonniers s’éteignent. Des gerbes d’étincelles passent horizontalement devant les vitres en grêle lumineuse. Des pierres arrachées au ballast ricochent sur les rochers et brisent des glaces. Plusieurs voitures sortent des rails et labourent les traverses. Le train n’est plus qu’une série de bennes tombant dans un puits de mine. Fous de peur, un artilleur et un chasseur ouvrent une portière et sautent dans le vide avec des cris affreux. Un instant, les autres voient planer dans le noir deux pantins désarticulés. La portière ouverte se fracasse contre un pylône.

 A La Praz, le train fantôme passe en hurlant, perdant des corps disloqués, fracassés, pantelants. Cette sanglante semaille fait reculer les garde-voies ; les vieux de la Territoriale, épouvantés, tentent de téléphoner à Saint-Michel-de-Maurienne. Rien ne répond !

Les pensées les plus absurdes traversent les esprits. Un sergent tire sans arrêt la sonnette d’alarme. Un jeune chasseur pleure et hurle « Nous sommes foutus… ». Coincé sous un amoncellement de musettes et de colis, un adjudant tente de rassurer à sa manière l’enfant soldat : « T’en fais pas, ta poule te reconnaîtra à ton bracelet » (La plaque que chaque soldat portait obligatoirement sur le poignet gauche).

Dans un bruit de ferraille, le 612 s’engage maintenant sur le pont enjambant l’Arc. Dans sa cabine, Girard lutte encore ; depuis longtemps, il a serré à mort les freins, mais rien ne répond. Il renverse la vapeur, des soupapes éclatent, des torrents d’eau sous pression fusent, mais le convoi ne ralentit pas. Si le train démentiel passe le virage du kilomètre 121… Peut-être ? Mais déjà, six voitures du centre ne sont plus sur les rails. Le pont de fer est franchi. Le virage… Le virage… Un bruit sec claque dans le tumulte, accompagné de deux autres déflagrations retentissantes. L’attache du premier wagon au tender vient de casser.

Au pont de La Saussaz, la mort vient de monter en marche dans le train de Noël.

Un bolide noir précède un instant les voitures, puis plonge vers Saint-Michel, c’est la motrice et son tender brinquebalant qui descendent vers la gare… Une seconde encore et tout se joue. La voiture de tête déraille et éclate en heurtant le pilier de droite du second pont-route surplombant la voie. Toutes les autres voitures viennent s’enchevêtrer en un inextricable amas de poutres tordues, de panneaux de bois éclatés, de chairs broyées. Un accordéon monstrueux se replie. Les dix-neuf voitures s’encastrent sur trois cents mètres. Le toit d’un wagon passe par-dessus le pont de La Saussaz, des poutrelles, des axes d’essieu, des roues volent de tous côtés à trente mètres de là.

Un silence atroce plane un instant sur cette fosse. Dans le noir, enfouies sous les décombres, on distingue des masses lumineuses, des météores d’un rouge presque blanc. Ce sont les roues et les patins de freins. Puis des cris affreux s’élèvent. Jamais la mort n’a fait en un temps si court, une telle moisson. Ces héros d’hier, ces Poilus farauds, ces êtres patinés par la guerre, appellent leurs mères. Du piège de fer, des ombres fantomatiques tentent de sortir. Des mains se tendent, puis retombent. Près de la passerelle de pierre, une algue jaune rampe, glisse, crépite, monte… C’est le feu.

 
« Je ne me souviens de rien… les cris de la descente, les hurlements présents… j’ai perdu connaissance. Combien de temps ? Quelques secondes sans doute. Etait-ce un cauchemar ? Mais non, tout cela est bien réel. Où suis-je ? Il fait noir, il fait froid, je me sens serré, prisonnier. C’est une main, une jambe que je ne puis dégager. Partout autour de moi, il y a ces cris affreux.

Lentement, je comprends, je ne suis pas bloqué sous les débris du wagon, je me rends compte que j’ai la tête en bas et que je suis suspendu par les jambes. Non sans efforts, j’arrive à me rétablir et je peux me dégager, puis dans un état de demi-conscience, je franchis des obstacles, des poutres, des débris de banquette. Je marche sur des corps dans le noir, je ne sais plus. Je n’ai qu’une idée, fuir, échapper.

Tant bien que mal, je cours vers une lumière, une fenêtre éclairée, une maison. A demi-conscient, sans frapper, d’un coup d’épaule, je pousse la porte. Une vision insolite m’accueille, une femme sans âge, à demi nue, debout à côté de son lit, rajuste sa chemise. Elle a été réveillée par le bruit. Elle s’habille, me questionne. Je ne me souviens même plus de ce que je lui ai dit.

J’avise deux bougies, je m’en saisis et dans un état second, je repars vers les débris du train avec mes deux lumignons dans la nuit. Autour des décombres, errent quelques rescapés égarés, abrutis. Ils regardent sans réaction. Je donne une bougie au plus valide et nous cherchons à nous porter aux endroits où les cris sont les plus distincts. Mais déjà vers la gauche, vers ce qui était la tête du train, de grandes flammes s’élèvent. Remontant la pente, le feu gagne les carcasses en quelques secondes, c’est l’enfer.

Un mur gigantesque, une muraille dantesque, sert de fond à cette tragédie. Les wagons écrasés, empilés, forment des cages monstrueuses. La clarté des flammes révèle des corps suspendus, mutilés. Au sol, il y a des morts partout sous une couche d’éclats de bois, de ferrailles tordues, de roues fumantes. Ceux que la flamme n’a pas encore atteints regardent avec effroi brûler leurs camarades.

« Sauvez-moi ! Sauvez-nous ! » Nous tentons de dégager des corps, mais presque tous sont coincés et déjà mutilés. Quelques hommes, voyant arriver le feu, s’amputent un pied, une main avec leur couteau de tranchée, et se traînent, sanglants, sur le ballast. Mais la voie entre deux murs est un piège, les blessés ne peuvent sortir sans aide sur trois cents mètres. Le kilomètre 121 n’est qu’une gigantesque tombe.

« Salauds ! Vous nous laissez crever ! ». Des hommes, des femmes, des sapeurs-pompiers, quelques soldats sortent de la nuit, ils arrivent en courant de Saint-Michel. A la lueur du brasier, chacun tente de traîner des corps. Les actes d’héroïsme se multiplient, les amputations sauvages continuent. A la hache, pour dégager les blessés. Des cris inhumains montent dans la fumée, au milieu d’une affreuse odeur de chair brûlée ».


 
La grande usine de pâtes alimentaires Bozon-Verduraz est transformée en poste de secours et en chapelle ardente. Une interminable procession d’hommes et de femmes couverts de givre sanglant portent sur des échelles des corps calcinés, des grands blessés. Il fait un froid terrible, le train brûle toujours, il n’y a plus de cris, mais des explosions obligent les sauveteurs à reculer. Des grenades cachées dans les bagages des permissionnaires éclatent et achèvent des blessés allongés sur les murettes des talus. Dans la grande salle des machines de la fabrique, il y a sur une immense litière de paille, 100 corps, puis 200 corps.

Au petit jour, il y a des morts partout. Des camions descendent de Modane, le 13echasseurs d’Annecy, cantonné à Saint-Jean-de-Maurienne arrive. Ces gamins, dans leurs uniformes pimpants, demeurent sans voix, paralysés par l’horreur du tableau. Ces carcasses fumantes, ces alignements de corps calcinés, ces plaques de sang… ces femmes et ces enfants, blancs de froid, qui tentent l’impossible. Tous cela, ces gars de vingt ans, ils ne l’oublieront jamais.

Combien étions-nous de rescapés dans les deux voitures de queue ? 150, 200… 37 morts égrenés par la peur depuis La Praz jusqu’au pont de fer étaient découverts sur le ballast, sur les accotements, tués par le choc ou achevés par le froid. Ici, sous les cartonnages de pâtes, sous le regard mille fois répété d’une lune hilare, 300 morts, peut-être plus, reposent. Les ambulances se succèdent maintenant. Combien arriveront vivants jusqu’aux hôpitaux de Chambéry ou de Modane ? Combien de débris humains retrouvera-t-on sous les ruines brûlantes du 612 ?

La catastrophe de Saint-Michel-de-Maurienne, dans la nuit du 12 au 13 décembre 1917, a fait 675 morts environ, compte tenu des morts des suites de leurs blessures dans les 15 jours qui suivirent le déraillement. A Saint-Michel, 424 furent identifiés (la liste est à la mairie) et 135 corps furent également enterrés sur place, dans la fosse communes aux victimes non identifiées.Malgré la censure militaire de l’époque, le silence est toujours en vigueur, plus de 50 ans après, aux services des chemins de fer français. Le décompte est relativement facile, puisque le nombre des rescapés valides, retrouvés le 13 au matin à Saint-Michel et ayant répondu à l’appel, était de 183 hommes.

Dans les hôpitaux de Modane, de Saint-Jean-de-Maurienne et de Chambéry, plus de 100 moururent des suites ou en cours de route, officiellement. A Modane, il y avait 65 hommes par voiture. L’autorité militaire fit imposer à la presse et aux autorités de l’époque un silence total. Seul « Le Figaro » publie le 17 décembre, entre un article de politique internationale et une revue de presse, 21 lignes, sur ce qui demeure encore aujourd’hui la plus grande catastrophe de chemin de fer du monde. Il ne reste pas de trace « officiellement » de la catastrophe de Saint-Michel-de-Maurienne ! Des enquêtes secrètes furent cependant exécutées dans les états-majors, des sanctions prises à l’égard de certains chefs, un long procès opposa longtemps les chemins de fer P.L.M et le ministère des armées. Puis, un voile pudique et prudent est venu tout recouvrir.




haut


Vous êtes le ème visiteur.