1914 - Pupille de la Nation - 1918
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1914 | Août | Septembre | Octobre | Novembre | Décembre | |||||||
1915 | Janvier | Février | Mars | Avril | Mai | Juin | Juillet | Août | Septembre | Octobre | Novembre | Décembre |
1916 | Janvier | Février | Mars | Avril | Mai | Juin | Juillet | Août | Septembre | Octobre | Novembre | Décembre |
1917 | Janvier | Février | Mars | Avril | Mai | Juin | Juillet | Août | Septembre | Octobre | Novembre | Décembre |
1918 | Janvier | Février | Mars | Avril | Mai | Juin | Juillet | Août | Septembre | Octobre | Novembre |
Replaçons
ce premier
courrier dans son contexte : Ma grand-mère (la
mère
Papy-Louis) écrit à son beau-frère
René (
Désiré qu'ils appelaient par le
deuxième
prénom : Joseph, frère de feu son mari,
décédé dès le premier mois
de la guerre)
vient de perdre également son père qu'elle a
soigné jours et nuits depuis de longs mois. Il est de
rigueur,
à l'époque de marquer son deuil aussi par le type
de
papier à lettre envoyé (marqué d'un
liseré
noir, d'ailleurs les enveloppes étaient identiques ). Ma
grand-mère utilisera ce type de papier jusqu'à la
fin de
la guerre. Elle explique dans son courrier qu'elle a eu la chance
d'avoir la visite de Désiré Joseph
accompagné de
la femme de René (Désiré qui
décèdera sous un obus en avril 1918) mais n'a pas
eu le
coeur à aller rendre de visite pour le nouvel an qui est
devenusi triste pour elle... Dans le contenu de la lettre on voit
également que
grâce aux conseils de ses beaux-frères, elle fait
des
démarches pour essayer d'obtenir des aides et des pensions
mais,
comme aujourd'hui, on y lit que les pots de terre restent les pots de
terre .... Dans ce contexte, comment ne pas comprendre le refus de certains de "monter au front" avec malheureusement tous les fusillés "pour l'exemple" qui en découleront.... (lettre d'un fusillé à sa femme) |
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Mazé le 09 janvier 1917
Mon cher
frère,
J'ai reçu ta lettre et carte voilà quelques jours et je te dis ainsi que Louis un grand merci de tous ces bons souhaits. Sur ta lettre tu me donnais un petit espoir de te voir à Mazé ces jours derniers, mais l'attente a été vaine et ne sais si tu as eu ta permission, peut-être as-tu eu quelques heures à passer avec Joseph, car il me semble qu'il repartait dimanche soir, c'est bien ce qui me faisait croire que tu n'aurais guère le temps de t'absenter. J'avais eu, comme tu dois le savoir, le plaisir de voir Jeanne et Joseph, le premier janvier, mais l'entrevue a été courte et n'avons pas eu le bonheur de se dire bien des choses; espérons que plus tard, une fois chacun rentré, nous serons plus longuement ensemble, mais le jour de l'an qui autrefois était jour de réunions et de réjouissances, n'est plus ainsi depuis cette malheureuse guerre et pour moi c'est plutôt, tu vas bien le comprendre, un jour de tristesses et souvenirs pénibles; donc ne t'étonne pas si je n'ai sorti de chez moi pour me réunir. Les chagrins ne s'effacent pas de si vite, surtout dans de telles circonstances. J'espère mon cher René que tu as été heureux dans ces jours de nouvelle année d'aller faire un petit tout à la Monnaie, mais la permission est bien courte et Jeanne se trouvera encore seule. Ces jours,-ci, tonton Louis doit être avec elle, il me disait dimanche qu'il partirait lundi et s'en reviendrait mercredi, ce qui rendra service à la petite sœur. Je t'avais dit aussi que j'avais récris à Paris donnant les renseignements qu'ils demandaient afin de présenter mon dossier, c'est probablement ce qui a été fait, car hier j'ai reçu une carte lettre me disant que puisque la situation militaire n'avait pas été déclarée et faute de n'avoir pas pris l'engagement de payer la surprime imposée pour être couvert du risque de guerre, le décès entraîne résiliation de la police sans qu'aucune indemnité puisse être versée par la société aux ayants droits. Je n'ai comme tu le vois rien à recevoir et la somme versée est à rayer, voilà bien des sociétés, connes à prendre et c'est tout, je n'ai p lus qu'à me tenir tranquille, mais qu'ils ne viennent pas me réclamer un sou. Au revoir Ernestine . Louis embrasse bien dur son tonton René. |
Autre carte, illustration du poilu qui, de passage en permission, transmet des poux à toute sa petite famille, y compris au chien et au chat ! Le pauvre poilu qui passe si peu de temps près des siens et qui n'est vu que comme le vecteur de transmission de vermines alors qu'il doit repartir en enfer .... Elle est envoyée à René par son beau-frère le 20 janvier 1917 et dit :" Je vous envoie cette carte pour passer vos ennuis, si vous en avez ..." |
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Puis cette lettre
de Désiré à René, le 21 janvier 1917 contenant
des banalités mais échanges oh combien
nécessaires
pour garder contact avec le réel, la famille ou ce qu'il en
reste 2 ans et demi après le début du conflit ...
Il ne
montre pas ou que si peu de signe de fatigue, de peur ou
d'épuisement comme cela pourrait être le cas ! Il
retourne
au front, dans la neige.... et à cette période,
comme on
le lit en signature, il est "signaleur" ce qui pourtant devait
être dur et éprouvant sans parler du danger
permanent, qui
plus est, souvent en première ligne ! |
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21.1.1917
Cher
frère
J'ai
été heureux de
recevoir ta lettre hier soir. Aussi, je ne tarderai pas de plus pour te
faire réponse. En arrivant de permission je t'avais
écrit
ainsi qu'à Jeanne et à Ernestine. j'ai
reçu des
nouvelles d'Ernestine avant que ma lettre fut rendue. elle me demandait
ce que devenait le frère à Charlotte qui
paraissait
l'oublier depuis un moment. J'ai fait mon possible pour la renseigner
il n'y avait rien de grave. Avant hier j'ai eu une lettre de Jeanne qui
me disait le peu de chance qu'ils avaient eus l'oncle Louis et elle
à travailler après le bois. Heureusement que l'on
dit ces
petits accidents pas graves le pire c'est que le travail a
été arrêté de ce fait Jeanne
dit aussi avoir
été obligée de faire un peu de
démarches
pour pouvoir vendre son veau. C'est la dèche ces histoires
et
les gens qui ne veulent rien faire pour les éviter. Quant
à toi rien de bien nouveau la santé se maintient
toujours
aussi bonne et la vie étant la même qu'avant notre
entrevue. Le camarade que tu m'avais parlé n'a pas eu de
chance.
Jeanne ne m'a pas parlé de la maladie à
Euphrasie. Elle
me dit que le père Suzanne serait plus mal de ce froid
là
. J'ai peu de choses à tee faire part le rhume dont je te
parlais n'a pas eu de suite. C'est assez étonnant d'un temps
pareil car il y a de neige sur la terre depuis mon retour ce qui ne
l'empêche pas de tomber souvent pour l'entretenir. Il fait
froid
encore assez ce qui ne convient pas au genre de vie que l'on
mène. Espérons vite sur une meilleure saison
ainsi que
sur de meilleurs jours aussi .
D'ici peu j'espère avoir plus de temps et plus d'aide pour t'écrire donc plus de détails. Je termine ma lettre en te souhaitant le bonjour une bonne santé en attendant la prochaine réponse avec plaisir reçois les meilleures amitiés de ton frère. Désiré M Signaleur avant 6ème bataillon 335ème régiment secteur postal 94 |
Le 23 janvier 1917 de Jeanne à René | |
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Jeanne qui est seule à entretenir la ferme,
se fatigue et attend avec impatience la fin de cette guerre. "la fin de cette terrible guerre qui ne vient pas... pour vous voir rentrer à la maison", et, malgré tout "on espère toujours" mais "on s'ennuie depuis assez longtemps et voir que des blessés et des morts ... les deux frères Jubeau qui sont avec Joseph sont blessés, celui du bourg, plus grave : trois blessures et un de Sarrigné qui est tué" . La météo qui est de part et d'autre une sujet d'importance "depuis huit jours un froid noir, il tombe du grésil, le temps a l'air de se mettre à la gelée" Et puis la solitude pèse " je ne t'oublie pas bien au contraire, je trouve la séparation bien pénible, nous avons pourtant bien le temps de l'être " (je suppose qu'elle fait référence à la séparation définitive, cette épée de Damoclès permanente) . Elle essaie malgré tout de s'automotiver " tu ferais sans doute mieux mais je crois que je fais de mon mieux, il nous faut bien du courage et pourtant on nous dit que c'est cette année que ça doit finir, il n'est pas trop tôt, 3 ans ça commence à voir son monde bien malheureux, dans la neige, la boue à y geler.... Il ne faut pas y songer et rien dire , il faut espérer du courage et surtout pas oublier le maitre de tout, jamais je prierai assez pour t'avoir en bonne santé, ta Jeanne qui t'aime " |
Témoignage d'un cousin convalescent adressé à René le 27 janvier 1917 | |
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Quimper le 27 janvier
1917 Cher Cousin
Sans plus de retard,
réponse à votre aimable carte lettre que je viens
de
recevoir qui m'a fait grand plaisir d'avoir de vos nouvelles et de vous
savoir en bonne santé, il en est de même pour moi.
Jusqu'à ce moment, je me trouve assez bien depuis que je
suis de
retour au dépôt, je n'ai pas fait bien du boulot
mais
toujours assez pour ce que l'on y gagne. Mais je ne sais pas si cela va
durer voilà mon mois d'inaptitude finit
|
et je repasserai
la visite à la fin de la semaine prochain, je verrai ce que
le toubit me dira. Je ne suis pas encore bien solide sur ma jambe pour faire des marches mais il faut des hommes et le dépôt n'est pas bien fort à mesure qu'il y a 15 ou 20 hommes de près directement sur le front. Enfin je ne me plains pas je tire encore une partie de l'hiver à l'abri, je plains les pauvres malheureux qui sont aux tranchées d'un temps pareil c'est terrible de ne pas en voir la fin, s'il n'y a pas de perte par le feu, il y en aura certainement beaucoup qui auront les pieds gelés. Ici depuis plusieurs semaines il a gelé assez dur et ces jours-ci il a tombé un peu de neige et il y a du verglas à ne pas pouvoir marcher sur les routes. Comme pays, il n'y a rien d'épatant c'est plutôt moche, ça ne vaut pas Paris, ça ne fait rien j'y passerais encore bien le reste de la guerre. Rien de plus pour le moment. Recevez cher Cousin mes meilleures amitiés. Je termine en vous serrant cordialement la main M. JB |
Courrier
entre entre deux belles-soeurs, l'une
déjà veuve, l'autre isolée dans sa
ferme, en date du 28
janvier 1917 - La vie seule à
l'arrière. Il fait très froid en ce mois de janvier 1917 et les femmes sont seules pour assurer le travail des exploitations et s'occuper des animaux. Elle ne trouvent personne, aucune femme et encore moins un homme pour les soulager dans leur travail, à la campagne, elles subissent toutes le même sort. Dans la lettre précédente du 23 janvier, on apprenait que l'oncle avait pu aller rendre service et qu'ils avaient eu un accident en faisant du bois. On apprend par celle-ci qu'ils s'étaient s'étaient blessés tous les deux .... peut-être une chute de branche ou un coin ou un outil qui aurait "volé" en fendant du bois ! Les enfants n'ont pas la chance d'aller à l'école en voiture ou en bus..... c'est la marche à pieds et il fait si froid qu'ils en pleurent de douleur (Papy-Louis avait 7 ans et faisait ces trajets à pieds) Ces femmes seules ne peuvent que s'apitoyer et plaindre les poilus qui doivent avoir les pieds gelés dans la neige .... |
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Mazé le
28 janvier 1917
J'ai bien reçu ta lettre et je suis heureuse de te savoir
bien
portante et guérie de ton accident; par bonheur le coup n'a
pas
été bien cruel et la blessure s'est assez
promptement
guérie; tu as bien besoin d'une bonne santé avec
de la
besogne comme tu as et des temps aussi rigoureux ne doivent pas te
rendre service pour ramasser la pension à tes animaux, il
faut
aller voir aux barges et comme elles diminuent
déjà fort
ça va être encore le reste. Tout cela est bien
embêtant car la saison du froid peut encore durer longtemps.
Depuis plusieurs Ma chère sœur, |
années nous n'avions plus de ces temps dur, ce qui nous surprend fort car ces jours-ci il fait froid à ne pas tenir dehors, ce qui ne m'arrange guère car la santé n'en est pas meilleure. Je ne sors guère de la maison aussi je ne sais ce que devient tonton Louis, je n'ai pas pu aller le voir, mais cette semaine j'ai vu René Bertrand qui m'a dit que la plaie était mieux seulement comme toujours il ne faudrait pas s'efforcer à travailler et l'oncle ne veut point entendre de cette oreille là. Enfin j'espère que tous ces accidents vont se rétablir et s'il faisait plus chaud ça irait mieux. Tu me demandais si je connaissais une compagne ou un compagnon mais je n'en vois point dans le pays, ce doit être encore difficile à trouver et surtout | convenable, c'est bien ce qu'il te faudrait pour t'aider et t'empêcher de t'ennuyer, tâche donc de trouver tu serais plus tranquille. J'espère que René va toujours bien, je n'ai aucune nouvelle de lui, il doit avoir froid aux mains comme les écoliers, c'est ce qui arrive souvent au filleul, il revient de l'école tout en pleurs tant il a froid aux pieds et aux mains, ce n'est pas surprenant que ces pauvres enfants gèlent, car les grandes personnes ont bien peine à s'échauffer et comment font donc tous les malheureux soldats, que de pieds gelés il va y avoir cette année encore, il doit sûrement y avoir bien haut de neige dans leur pays. Tout cela est bien triste. Je souhaite le bonjour à Euphrasie et |
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j'embrasse bien fort toute sa petite famille qui doit
aussi avoir grand
froid à aller à l'école, mais les
chemins sont bien sûr secs, la boue
est ramassée. Je vais te dire au-revoir ma chère sœur et t'embrasser de loin. Louis aussi envoie ses meilleurs baisers à sa chère marraine qu'il est bien privé de ne pouvoir embrasser. Je te quitte et Bonne santé. Ernestine. |
Lettre d'un poilu à sa femme : "La sentence est tombée : je vais être fusillé pour l'exemple, demain, avec six de mes camarades, pour refus d'obtempérer."
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Le 30 mai 1917
Léonie chérie
J'ai confié cette dernière lettre à des mains amies en espérant qu'elle t'arrive un jour afin que tu saches la vérité et parce que je veux aujourd'hui témoigner de l'horreur de cette guerre.
Quand nous sommes arrivés ici, la plaine était magnifique. Aujourd'hui, les rives de l'Aisne ressemblent au pays de la mort. La terre est bouleversée, brûlée. Le paysage n'est plus que champ de ruines. Nous sommes dans les tranchées de première ligne. En plus des balles, des bombes, des barbelés, c'est la guerre des mines avec la perspective de sauter à tout moment. Nous sommes sales, nos frusques sont en lambeaux. Nous pataugeons dans la boue, une boue de glaise, épaisse, collante dont il est impossible de se débarrasser. Les tranchées s'écroulent sous les obus et mettent à jour des corps, des ossements et des crânes, l'odeur est pestilentielle.
Tout manque : l'eau, les latrines, la soupe. Nous sommes mal ravitaillés, la galetouse est bien vide ! Un seul repas de nuit et qui arrive froid à cause de la longueur des boyaux à parcourir. Nous n'avons même plus de sèches pour nous réconforter parfois encore un peu de jus et une rasade de casse-pattes pour nous réchauffer.
Nous partons au combat l'épingle à chapeau au fusil. Il est difficile de se mouvoir, coiffés d'un casque en tôle d'acier lourd et incommode mais qui protège des ricochets et encombrés de tout l'attirail contre les gaz asphyxiants. Nous avons participé à des offensives à outrance qui ont toutes échoué sur des montagnes de cadavres. Ces incessants combats nous ont laissé exténués et désespérés. Les malheureux estropiés que le monde va regarder d'un air dédaigneux à leur retour, auront-ils seulement droit à la petite croix de guerre pour les dédommager d'un bras, d'une jambe en moins ? Cette guerre nous apparaît à tous comme une infâme et inutile boucherie.
Le 16 avril, le général Nivelle a lancé une nouvelle attaque au Chemin des Dames. Ce fut un échec, un désastre ! Partout des morts ! Lorsque j'avançais les sentiments n'existaient plus, la peur, l'amour, plus rien n'avait de sens. Il importait juste d'aller de l'avant, de courir, de tirer et partout les soldats tombaient en hurlant de douleur. Les pentes d'accès boisées, étaient rudes .Perdu dans le brouillard, le fusil à l'épaule j'errais, la sueur dégoulinant dans mon dos. Le champ de bataille me donnait la nausée. Un vrai charnier s'étendait à mes pieds. J'ai descendu la butte en enjambant les corps désarticulés, une haine terrible s'emparant de moi.
Cet assaut a semé le trouble chez tous les poilus et forcé notre désillusion. Depuis, on ne supporte plus les sacrifices inutiles, les mensonges de l'état major. Tous les combattants désespèrent de l'existence, beaucoup ont déserté et personne ne veut plus marcher. Des tracts circulent pour nous inciter à déposer les armes. La semaine dernière, le régiment entier n'a pas voulu sortir une nouvelle fois de la tranchée, nous avons refusé de continuer à attaquer mais pas de défendre.
Alors, nos officiers ont été chargés de nous juger. J'ai été condamné à passer en conseil de guerre exceptionnel, sans aucun recours possible. La sentence est tombée : je vais être fusillé pour l'exemple, demain, avec six de mes camarades, pour refus d'obtempérer. En nous exécutant, nos supérieurs ont pour objectif d'aider les combattants à retrouver le goût de l'obéissance, je ne crois pas qu'ils y parviendront.
Comprendras-tu Léonie chérie que je ne suis pas coupable mais victime d'une justice expéditive ? Je vais finir dans la fosse commune des morts honteux, oubliés de l'histoire. Je ne mourrai pas au front mais les yeux bandés, à l'aube, agenouillé devant le peloton d'exécution. Je regrette tant ma Léonie la douleur et la honte que ma triste fin va t'infliger.
C'est si difficile de savoir que je ne te reverrai plus et que ma fille grandira sans moi. Concevoir cette enfant avant mon départ au combat était une si douce et si jolie folie mais aujourd'hui, vous laisser seules toutes les deux me brise le cœur. Je vous demande pardon mes anges de vous abandonner.
Promets-moi mon amour de taire à ma petite Jeanne les circonstances exactes de ma disparition. Dis-lui que son père est tombé en héros sur le champ de bataille, parle-lui de la bravoure et la vaillance des soldats et si un jour, la mémoire des poilus fusillés pour l'exemple est réhabilitée, mais je n'y crois guère, alors seulement, et si tu le juges nécessaire, montre-lui cette lettre.
Ne doutez jamais toutes les deux de mon honneur et de mon courage car la France nous a trahi et la France va nous sacrifier.
Promets-moi aussi ma douce Léonie, lorsque le temps aura lissé ta douleur, de ne pas renoncer à être heureuse, de continuer à sourire à la vie, ma mort sera ainsi moins cruelle. Je vous souhaite à toutes les deux, mes petites femmes, tout le bonheur que vous méritez et que je ne pourrai pas vous donner. Je vous embrasse, le cœur au bord des larmes. Vos merveilleux visages, gravés dans ma mémoire, seront mon dernier réconfort avant la fin.
Eugène ton mari qui t'aime tant