Le maître d'Emile JOULAIN fut Marc
LECLERC (1874-1946),
comme il l'est
décrit dans la page "quelques
mots". Aussi en cette période de
centenaire, il m'était difficile de ne
pas faire référence à son
poème
concernant la "Passion de notre frère
le poilu" |
V’là
dans la nuit
l’âm’ qui s’envole :
en l’ fin fond du Ciel, sans boussole,
a n’a vit’ trouvé l’ Paradis :
y avait saint Pierr’ sûs l’ pas
d’ la porte,
qu’était en train d’ battr’
ses tapis,
et qui crie d’abord d’eun’voéx
forte :
« Essuyez vos pieds en entrant,
« et prenez l’ collidor à
drète…
« c’est en l’ bout, la Sall’ du
Jug’ment…
« vous n’attendrez sûs la banquette !...
»
L’ Poélu, î n’y va en
tremblant :
Y avait en l’ fond ein ang’ tout blanc,
qui n’ya d’mandé son matricule,
son nom, son âge, et tout l’ fourbi !
L’ pauv’ gas en restait ébaubi,
dret en l’ mitan du vestibule ;
î n’était là dempis
queuqu’temps,
quand l’Ang’ n’y dit : « On
vous attend ! »
Le v’là dans ein’
magnièr’ d’église
coume î n’avait ren vu d’ pareil :
ça n’était que dor et
varmeil…
enfin, en l’ fond, le v’là
qu’avise
l’ Bon Guieu, assis sûs n’ein soleil,
enter le Christ et la Boun’ Viarge,
et d’ chaqu’ coûté, six
boéssaux d’ ciarges ;
pis des tas d’ saints, ein p’tit pûs
bas…
y avait surtout des saints soldats,
ovec des casqu’ et des cuirasses :
Saint Georg’, saint Hubert, saint Michel
sûs son guiâbl’ qui fait la grimace,
Saint Léonard et saint Marcel,
Saint Charlemagne ovec sa barbe,
Saint Martin, saint Sulpic’, saint’ Barbe,
qui manœuvrait son p’tit canon,
Saint Maurice et ses compagnons,
et Jeann’ d’Arc ovec sa
bagnière…
En voyant tous ces militaires,
l’ Poélu s’ dit : «
C’est l’ conseil de guerre !...
« ya des chanc’ que j’ vas
écoper !... »
Mais y avait pas à s’échapper :
tout d’ suit’, c’ fut
l’interrogatoère :
«
Voyons, racont’ moé ton histoère !
»
? Que dit l’ Bon Guieu au pauv’ Poélu, ?
« Qué qu’tu fesais avant la guerre ?
« ? Ben, mon Guieu j’ cultivains la
terre…
« c'est un méquier qu’enrichit
guère,
« et j’étions pas trop rich’
non pûs ;
« mais on s’ suffit quant’ n’on
travaille :
« ma foé, j’ vivions tous sans trop
d’mal ;
« j’avions ein’ paire
d’bœufs, ein ch’val,
« ein’vache, ein’femme, et
queuqu’ volailles,
« et ein gorin, sauf vout’ respect…
« ? Ah ! qu’ dit saint Antoin’,
ça m’connaît,
« les gorins !... sois béni, mon frère
! »
Mais l’Bon Guieu fronça les sourcils,
et saint Antoine, î s’ fit tout
p’tit…
« ?Et dempis qu’ t’étais
militaire,
« as-tu point trop souvent fauté ?
« ? Ben, mon Bon Guieu, ni trop ni guère,
« pour ben vous dir’ la
vérité :
« I m’a arrivé d’
prendr’ la cuite,
« mais faut vous dir’ que j’
sés Ang’vin,
« et pis, c’était d’ si triste
vin
« qu’ la faute, a doit en êtr’
pus p’tite ! »
…V’là que l’
Pèr’ Noé, l’ patriarche,
S’écrie : « C’est point ben
grand péché…
« si y avait qu’ moé pour
l’empêcher,
« j’dirais des foés : En avant, Arche !
»
« Eune aut’ foés,
j’ons eu
d’ la prison,
« mais moi, j’crais ben qu’
j’avains raison :
« j’avains déchiré ma
culotte…
« alors, moé, pour y r’mettre ein fond,
« pour qu’on n’
voéy’ point mon pauv’ croupion,
« j’ons coupé les pans d’ ma
capote…
« et l’ capiston m’a foutu
d’dans
« rapport qu’ j’avains fait du dommage
« aux effets du gouvarnement ! »
|
Saint
Martin dit «
Assurément,
« j’en avais point fait davantage
« l’ jour ou qu’ j’ai
coupé ma tunique
« pour couvrir ein paralytique,
« et moé, on m’a canonisé
!... »
« ?Moé, qu’ dit l’
Poélu, îs m’ont
bésé…
« seur’ment,
j’m’étains couvart
moé-même,
« faut crair’ que c’est ein
oût’ système !...
« ? Eine auter’ foés, j’ons eu
tant d’ poux
« qu’ j’ons jamais pu les occir tous.
« ? Moé, j’ les gardais, dit
l’ bon saint Labre ;
« fallait fair’ coum’ moé, et
t’ gratter
« en cultivant l’humilité ! »
Mais saint Michel, l’air
dégoûté,
l’ fit circuler à coups d’plat
d’sabre.
« Enfin, Seigneur, si j’ons fauté,
« j’ons eu aussi ben d’la
misère
« et ben d’ la peine à supporter ;
« j’ons souffert de ben des magnières :
« d’ la faim, d’ la fret’,
d’ la chaud aussit !
« j’ons point terjoûs dormi la nuit ;
« j’ons ben souvent, au long des routes,
« traîné mes pauv’ pieds
écorchés
« tell’ment longtemps j’avions
marché,
« en pardant ma sueur à gross’ gouttes
« sous l’ poids du sac
qu’était si lourd !...
« Ya meime eu des foés, en les côtes,
« que j’ons porté les sacs des
aut’es,
« malgré qu’ moi-meim’
j’étions ben las !... »
Et saint Simon disait tout bas :
« Comm’ nous, Seigneur, au Golgotha !... »
« Enfin, me v’là d’vant vous
astheure :
« J’ sés eune âm’
sans corps et sans d’meure ;
« Seigneur, Seigneur, si j’ons fauté,
« l’aurais-j’ donc point assez
rach’té ?...
« j’ons pus d’ sang, et me
v’là tout blême…
« voéyez la plaie à mon
coûté !... »
Saint Thomas dit : « En vérité,
« Seigneur Jésus, c’était la
même ! »
Et coum’ le Bon Guieu n’ disait ren,
V’là que l’ Poélu montra
d’ la main
le manteau bleu d’ la Vierge Mère,
la grand’ barbe blanche à Dieu l’
Père,
et la rob’ rouge à Not’ Seigneur,
et dit : « Voélà mes trois couleurs !
« C’est les trois couleurs de la France,
« et c’est pour ell’, tout’ mes
souffrances :
« c’est les couleurs de mon Drapiau,
« les trois couleurs de ma Patrie
« pour qui j’ m’ai fait trouer la piau ;
« c’est pour ell’ qu’
j’ai pardu la vie,
« et c’est pour ell’ que j’
sés d’vant vous,
« Père Eternel, sûs mes deux
g’noux ! »
Et voélà que l’ Bon Guieu sourit,
Et qu’ darrièr’ lui le Ciel
s’ouvrit…
Et l’ Poélu vit qu’ parmi les Anges
î s’avait produit du mélange :
Y avait assis en parmi d’eux
des tas d’ Poélus, l’air ben heureux,
ovec des capot’ bleu d’azure
qu’avaient l’air
d’êtr’ fait’ sur mesure,
et, sûs la têt’, des casqu’s en
or ;
chaqu’ein n’avait eun’ grand’
pair’ d’ailes,
pour aller partout sans effort,
sans pûs jamais mouiller ses s’melles,
Et pour pouvoér fair’ trent’six lieues
sans pûs jamais avoér
d’ampoules…
Et l’ Poélu s’assit dans la foule
en chantant d’ tout cœur ovec eux :
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux !
»
tandis qu’ les Ang’s, dans la lumière,
leur répondaient d’ tous les
coûtés :
« Et que la Paix séy’ sur la terre
Pour les homm’ de boun’ voulonté !
»? |
première
partie : voix de Marc Leclerc puis en italique par moi-même
jusqu'à la fin de l'extrait
C’était
ein pauv’ bougre d’Poélu,
qui s’en allait sous la mitraille…
Vantié ben qu’î n’aurait voulu
être en aut’ part qu’en la bataille ;
mais, du moment qu’ fallait qu’î
n’y aille,
ben, î n’y allait, tout simplement,
sachant ben que, contr’ sa misère,
ya point à fair’ de raisoun’ment,
et qu’ les gâs qui cultiv’ la terre,
c’est leur devoir ed’ la défendre,
s’raient-îs territoriaux fourbus…
C’est point difficile à comprendre
qu’tout l’mond’ peuv’ point
fair’ des obus :
Faut êt’ouverrier, ou notaire,
pour fair’ son D’voér sur l’
front d’ l’arrière !
… Dam’,ya pus d’ risqu’
sûs çui d’ l’avant :
les obus qu’on voét, l’ pûs
souvent,
quant’ on est qu’ein pauv’ fantaboche,
c’est ceuss’ que vous envoy’ les
Boches…
…les nôtr’, ça
r’gard’ nos artilleurs…
à c’ qu’îs dis’,
îs sont cor meilleurs !...
L’ Poélu, ovec ses camarades,
s’en allait en corvée d’ grenades :
I fesait un temps ben maussade,
nuit noér’, d’la neige et du varglas :
on s’ foutait par terre à chaqu’ pas,
en butant dans les trous d’ marmites,
et qués trous… ben sûr, pas des
p’tites !
Pûs qu’on allait, pûs qu’yen
avait…
on n’aurait dit qu’î n’en
pleuvait !
V’l’à qu’
tout-à-coup un deux cent dix
éclate à pas vingt-cinq
mètr’ d’eux…
L’ Poélu crie : « J’ sis
touché, mon Guieu !... »
Et sûs les g’noux le v’là qui
glisse,
et pis qui s’en va à l’envars,
ovec son pouv’ coûté ouvart,
et son sang qui coulait par terre…
Au caporal î dit : « Gas
Pierre,
« faut qu’ tu
prévienn’ ma
femm’ chez nous :
« dis n’y
d’abord que j’ sis
malade…
« pour qu’a
n’ sach’ point
ça tout d’ein coup…
« en mon
port’-monnaie… y a cent
sous…
« ça
s’ra… pour les
copains… d’l’escouade…
« pis… faut
prend’ mon sac…
de… grenades… »
Pis, ayant dit son testament,
î rendit son
âm’ tout
douc’ment…
la
fin de l'extrait audio - suite du texte à droite :
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