LES BŒUFS |
C’était,
comm' dans la vieill' chanson,
La chanson
d'Môssieu
Pierr’ Dupont,
Deux grands
bœufs
qui sortaient d’l’étable,
Tout
douc’ment, au
pas d’précession.
I’s se
r’ssembiaient, c’est pas créyab’e :
C’était
si ben la
mêm' façon
De
s’déhancher,
ben att'lés d'front,
Ovec des
corn’s
comm' cell's des yâb’es,
Ovec Ieûs
bons
groûs yeux ouvarts
Sus
l’matin bleu
et les prés varts ;
En ruminant
dans
Ieûs grouss’s tétes
On n'sait pas
trop
queu's songeri’s d’bétes,
I’s
partaient,
accoubiés sous l’joug,
Pour ermuer la
bounn' terr' d’Anjou.
|
C'était comme dans la vieille chanson,
La chanson de Monsieur Pierre Dupont,
Deux grands bœufs qui sortaient de l'étable,
Tout doucement, au pas de procession.
Ils se ressemblaient, ce n'est pas croyable :
C'était si bien la même façon
De se déhancher, bien attelés de front,
Avec des cornes comme celles des diables,
Avec leurs bon gros yeux ouverts
Sur le matin bleu et les prés verts ;
En ruminant dans leurs grosses têtes
On ne sait pa trop quelle idée de bêtes,
Ils partaient, accouplés sous le joug,
Pour remuer la bonne terre d'Anjou? |
|
|
|
|
On n’les
voyait' jamais qu'ensemb'e ;
Et
l’monde
disait : « Comm' i's se r’ssembent,
Les deux grands
bœufs à Maît' Leroux ! »
I’s
l’taient
point d’ein bianc tach'té d’roux.
Mais
d’ein beau
roux couleûr queu' d'vache,
Sans ein' seul'
manqu’, sans ein' seul' tache,
Qu’ein’
petite
étoél’ bianch' sûs l'front,
Si
tell’ment
pareils qu'leû’ patron
Enter’ieux
s’y
r’trouvait qu’à peine.
Don’,
c’matin-là,
les deux grands bœufs,
Tout roug's,
comm'
s’i’s portaient sûs ieux
L’soulé
qui
l’vait sûs la grand' plaine,
I’s
marchaient,
les deux grands bœufs roux,
En roulant
leûs
bons groûs yeux doux.
|
On ne les voyait jamais qu'ensemble ;
Et les gens disaient :" Comme ils se ressemblent,
Les deux grands bœufs à Maître Leroux ! "
Ils n'étaient pas d'un blanc tacheté de toux.
Mais d'un beau roux couleur queue de vache,
Sans un seul manque, sans une seule tache,
Qu'une petite étoile blanche sur le front,
Si identiques que leur patron
Entre-eux ne s'y retrouvait qu'à peine.
Donc, de matin-là, le deux grands bœufs,
Tout rouges, comme s'ils portaient sur eux
Le soleil qui levait sur la grande plaine,
Ils marchaient, les deux grands bœufs roux,
En roulant leurs bons gros yeux doux. |
|
|
|
|
D’vant
ieux, marchand à leû cadence,
T'nant son
aiguillon
comme ein' lance,
En subiant,
l’gâs
Pierre i' n'allait' ;
|
Devant eux, marchant à leur cadence,
Tenant son aiguillon comme une lance,
En sifflant, le gars Pierre s'en allait ; |
|
|
La Pentecôte
et le Saint-Esprit : pauvre valet ! |
|
C’était
l'biquard, l’troésiém’ vâlet’,
Pas pûs
dégourdi
qu'i’ n'fallait’ ;
Ben sûr
pas moins
r’nâré qu'ein aut’e,
Mais quant'
mêm', -
c’était point d'sa faute, -
L'Saint-Esprit,
l'jour de la Pent’côte,
Il l'avait
point,
pour la râtion,
Gâté
dans sa
destribution.
|
C'était le vacher, le troisième domestique
Pas plus dégourdi qu'il ne fallait
Bien sûr pas moins rusé qu'un autre,
Mais, pour sa défense, ce n'était pas de sa faute.
Le Saint-Esprit, le jour de la
Pentecôte,
Ne l'avait pas
particulièrement comblé,
Dans sa distribution de
"lumière" (bon sens, intelligence) |
|
V’la-t-i’
pas qu’pûs loin, sûs l'pâssage,
L`pér’
Leblanc,
voéyant v’ni c't’attlage :
Le gâs,
les deux
bœufs et l'brabant,
I' fait' ein'
paus',
comm' c’est l’usage
Dans
noût' pays ‘
et l’pér’ Leblanc
I’ dit'
au gâs :
« J’ai pourtant d'l'âge,
Mais
j’ai' côr'
point trouvé, mon vieux,
Deux
bœufs qui se
r’ssemb’nt comm' tes bœufs ! »
Là-d'ssus
l’grand
benêt i’ s’arrête,
I' lèv'
sa
casquett’, s'gratt’ Ia téte,
I’
réfléchit, i’
r’gard’ ses bétes,
Pis tout
bonn’ment,
i’ fait comm' ça :
«Oui,
i’s se
r’ssemh’nt ! .. Surtout c'ti-là ! ! ! »
Emile Joulain -
Février 1946.
|
Ne voilà-t-il pas que plus loin sur le passage,
Le père LEblanc, voyant cet attelage, :
Le gars, les deux bœufs et le brabant (charrue),
Il faisait une pause, comme d'est l'usage
Dans notre pays, et le père Leblanc
Dit au gars : "J'ai pourtant de l'âge,
Mais je n'ai encore jamais trouvé, mon vieux,
Deux bœufs qui se ressemblent comme tes bœufs !"
A ce moment, le grand nigaud s'arrête,
Il lève sa casquette, se gratte la tête,
Il réfléchit, il regarde ses bêtes,
Puis, tout bonnement il répond :
"Oui ils se ressemblent ! ;;; Surtout celui-là !!!' |
|