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Sommaire Page Emile JOULAIN
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Émile
JOULAIN
dit "l'Gâs Mile"
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PASSEUR DE LOIRE - 19 janvier 1949 | En parallèle, vous pourrez suivre en français, le texte lu en patois : | |
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Plus haut que les
Ponts-de-Cé, plus bas que Gennes Il y avait un pont, dans le temps d'autrefois ; Entre ses piles, de mode ancienne, La Loire se faufilait cinq fois. On le voyait de loin: les gars de La Bohalle Regardaient sous lui se lever le soleil, Et les autres, comme sur une carte postale, Le même soleil rouge qui s'en allait. J'entends encore son plancher qui gronde, Et, dans mon souvenir je le revois encore, Grouillant de voitures, de vélos et de monde Qui allaient ou qui s'en venaient de l'autre bord ; De l'autre bord où les coteaux pleins de vignes Attendent les futés habitants de la vallée, Où les pêcheurs qui tendent leurs lignes Prennent toujours bien...quelques coups de Pinot ; De l'autre bord où les filles sont les plus belles, Probablement, sur Coutures ou Chemellier, Où s’endorment les moulins sans ailes De Pied Renard, qui sont au dessus de Gohier ; De l'autre bord où le voyage commence, Où Saint Rémy, sur l’horizon, A l’air d’une voile bleue en partance Vers la grande butte verte de Blaison. C’est vers tout ça que tu menais les hommes, Vieux pont, dans le vieux ciel suspendu. Dans nos vieux cœurs, sitôt que l’on te nomme, Rechante le vieux temps que j’ai perdu. Un jour …, un jour que le paysage Faisait la sieste… un jour d’été, J’ai entendu un gros coup d’orage ; C’était le vieux pont qui venait de sauter. Et, depuis ce temps-là, entre ses piles, La Loire, bien sûr se faufile encore, Mais elles sont désertes comme des îles Et le village est devenu un port. Il y a un grand bac qui fait le passage Pour les autos qui filent sur Brissac, Pour les charrettes de tous les parages, Et ça fait bien de dire : « J’ai pris le bac ! » C’est pour les gros qui roulent carrosse, Mais pour tous les autres, les malchanceux, Qui ont comme moi, qu’un pauvre vieux vélo, Pour les gueux, eh bien il y a le passeur. Ce n’est pas un gars qui fait des épates ; Il porte le nom (je n’en dis pas plus) Des grands oiseaux qui ont des grandes pattes Et des grandes bouches aux grands becs pointus. Il est comme eux : semaine comme dimanche, Comme on dit, a la réplique sur tout, Et, quand avec vous il commence, Ce n’est pas commode d’en voir le bout ! Dame, quelquefois, il en sort de fortes : « Hé, la fille, tu as bien profité ! Si tu continues, le diable m’emporte ! Je serai forcé de faire payer supplément ! » Un après-midi alors qu’il était bien turbulent, Le petit gars de la dame du docteur : « Si tu n’es pas plus sage, petit fils de garce, Ton père t’achètera une petite sœur ! » |
« Hé, toi là-bas, ne te
mets pas en nage ! L’heure, c’est l’heure, mon gars, tu es baisé, Mais, en attendant l’autre voyage, Fais donc servir un coup de rosé! » La barque en avait sa pleine charge : Du monde et des vélos à faire couler ; Alors, fièrement : « Toi, pousse au large ! « Que disait le patron à son grand gars. Et, en casquette blanche, je vous jure Que les jours de fête, droit en plein chenal, Et fonçant comme vers l’Aventure, On aurait dit un Amiral ! Mais le journal qu’on va le refaire, Le vieux pont, et les bavardages courent Que le nouveau sera comme son grand frère, Mais plus jeune et moins élégant. J’en conviens bien, ce sera très commode, Bien sûr, mais il n’empêche que ce sera, Avec le passeur de la vieille mode, Un peu de poésie qui s’en ira. Dis, le passeur, quand tu sera en grève, Par force, que tu feras la grève sur le tas, Le tas de sable blond des vieux cul de grève. N’est-ce pas, de temps en temps, tu m’emmèneras ? Nous ne serons que tous les deux ; tu prendras tes rames, Pour que ton moteur ne me casse pas le cerveau Nous n’entendrons plus la voix des femmes Qui lavent leur linge et qui battent l’eau. Nous n’entendrons même plus les voitures Sur la levée ou sur le nouveau pont ; Nous n’entendrons que la grande nature : Le vent qui chante et l’eau qui répond. Bien loin, un son de cloches qui se balancent Nous suivra peut-être quelques temps encore ; Puis, petit à petit, ce sera le silence, Tandis que nous dériverons vers l’autre bord. Et, même , si tout d’un coup, tu relèves Tes rames au-dessus de la Loire, ça fera, Pareil à ce qui chante dans les rêves, Comme du silence qui s’égouttera. Et nous aussi, nous nous tairons ; Nous ne verrons plus le jeune pont dans le jeune ciel, Mais seulement la Loire, la Loire qui coule Comme quelque chose qui serait éternel. Dis, le passeur, il n’y aura plus que la Loire, Le paradis des pêcheurs de saumon, La belle Loire des longues soirées claires, Et des matins de printemps que nous aimons ; La Loire, la grande anse aux aloses, Qui roule dans ses grands courants bleus Où viennent se refléter les petits nuages roses, Des rêves que nous pêcherons à deux. Nous dériverons au bout du monde Qui est plus bleu parce qu’il reste loin, Où les filles brunes et les grèves blondes Sont plus belles parce qu’on ne les approche pas. Nous regarderons décroître la lumière ; La nuit nous bordera dans son drap ; Pour nous bercer il n’y aura que la Loire, Le long du bateau qui murmurera. Nous dériverons, sans perche et sans voiles ; Nous dériverons à n’en plus finir ; Et, quand nous ne verrons plus les étoiles, Aurons-nous le courage de revenir ? |